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Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
21 avril 2019

C.G. Jung – L'Âme et la vie

 

Fioraborsi

 

On sait par expérience que l’homme dont la seule référence est l’extériorité ne se contente jamais de ce qui est simplement nécessaire ; il tend toujours plus loin davantage vers le meilleur, qu’il cherche, restant fidèle à son préjugé ; toujours à l’extérieur. Il oublie complètement que lui-même, en dépit de tout succès extérieur, reste intérieurement toujours le même ; c’est pourquoi il déplore toujours sa pauvreté quand il ne possède qu’une automobile au lieu d’en avoir deux comme la plupart des autres. Il est certain que la vie extérieure de l’homme est susceptible de bien des améliorations et embellissements, mais ils perdent de leur importance dans la mesure où l’homme intérieur ne marche pas du même pas. La saturation de tout ce qui est « nécessaire » est certainement une source de bonheur qu’il ne faut pas sous-estimer ; mais au-delà, l’homme intérieur pose ses exigences que nul bien extérieur ne peut apaiser. Et moins on écoute cette voix, parce qu’on est à la chasse des splendeurs de ce monde, plus l’homme intérieur devient la source de désagréments et de malheur, incompris au sein de conditions de vie qui permettraient d’envisager tout autre chose. L’extériorisation devient une souffrance incurable parce que nul ne peut comprendre comment on pourrait souffrir de soi-même. Personne ne s’étonne de son insatiabilité ; on la considère comme son bon droit et l’on ne pense pas que l’unilatéralité de son régime spirituel aboutit finalement aux plus graves troubles de l’équilibre. C’est ce dont souffre l’occidental et il n’a nul repos tant qu’il n’a pas contaminé le monde entier de l’agitation de son désir.

Trop de gens cherchent en dehors d’eux-mêmes ; les uns croient au leurre de la victoire et de la force victorieuse ; d’autres aux traités et aux lois ; d’autres encore au renversement de l’ordre établi. En trop petit nombre, quelques uns cherchent en eux-mêmes, dans leur psychologie. Une minorité, trop faible, se demande si, en définitive, la meilleure façon de servir la société et les hommes ne serait pas de commencer chacun par soi-même, d’essayer d’abord et uniquement sur sa propre personne, dans sa propre économie interne, les réformes prêchées à tous les carrefours. S’il existe des hommes d’exception capables de sacrifier toute leur vie à une règle déterminée, la plupart cependant ne sont pas à même de supporter à la longue une telle exclusivité.

C’est en tenant compte des exigences des mondes interne et externe, et, pour mieux dire, en assumant leur conflit, que s’esquisseront les profils du possible et du nécessaire. Malheureusement, notre esprit occidental, en conséquence de son manque de culture dans cette perspective, n’a même pas encore trouvé une notion et encore moins une dénomination pour exprimer l’union des contraires à mi-chemin, cette cheville ouvrière fondamentale de l’expérience intérieure, telle que l’exprime par exemple le « tao » des Chinois. Une telle union des contraires constitue à la fois, le fait le plus individuel et l’accomplissement le plus rigoureux, le plus universel de la vie en nous et de son sens. Il vaut mieux se représenter ce jeu et cette opposition tragiques des contraires existant entre l’intérieur et l’extérieur (ce que le Livre de Job et Faust évoquent et décrivent sous la forme d’un pari divin) en se disant qu’il s’agit au fond de l’énergétisme même inhérent à tout processus vital et que cette opposition des contraires est inéluctable pour l’autorégulation. Aussi diverses que soient ces puissances contraires, dans leur apparence comme dans leur finalité, elles n’en veulent pas moins tout de même au fond la vie de l’individu ; elles oscillent à partir d’un centre, la faisant osciller avec elles.

Précisément parce que ces tendances contraires sont secrètement et souterrainement en rapport les unes avec les autres, elles sont susceptibles de trouver leur accord dans une certaines moyenne, dans un certain compromis, qui, en quelque sorte nécessairement sourd volontairement ou involontairement de l’individu lui-même, ce dont ce dernier ne peut pas avoir une certaine prescience intuitive. Chacun a un sentiment de ce qui devrait être, de ce qu’il devrait être. Ne pas tenir compte de cette intuition, s’en écarter et s’en éloigner, c’est faire fausse route, c’est s’engager dans la voie de l’erreur et, à plus ou moins long terme, déboucher dans la maladie.

Celui qui n’est que sage ou qui n’est que saint m’intéresse à peu près autant qu’un squelette rare de saurien ; il ne me touche pas aux larmes. Par contre, la folle contradiction entre l’être arraché à la Maya dans le Soi cosmique et la faiblesse aimante qui plonge dans la terre noire sa fécondité aux multiples racines pour répéter dans tout l’avenir le tissage et la déchirure du voile, éternelle mélodie de l’Inde, cette contradiction me passionne. Car comment peut-on voir la lumière sans l’ombre, percevoir le silence sans le bruit, atteindre la sagesse sans la folie ?

Devenir fou n’est pas un art. Mais de la folie extraire la sagesse, voilà sans doute le comble de l’art. La folie est la mère des sages, jamais l’intelligence.

 

C.G. Jung – L’Âme et la Vie (Le livre de poche)

 

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Commentaires
J
Merci. Ces mots sont précieux.
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  • Bienvenue ! Je partage ici les textes des auteurs phares de la psychologie des profondeurs qui éclairent et accompagnent mon exploration intérieure, ainsi quelques parcelles de mon expérience personnelle. Bonne lecture, Carine - Phalae
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