C.G. Jung - Dialectique du moi et de l'inconscient
Dans la mesure où le monde sollicite insidieusement l'individu de s’identifier avec son masque, et dans la mesure où l‘individu succombe à ces séductions, celui-ci sera livré aux influences qui émanent du monde intérieur, et il en sera le plus souvent victime. « Le haut repose sur le bas », dit Laô-Tseu. Lorsque l'individu s’identifie à son masque, la contradiction sourd de l‘intérieur de lui-même et agit sur le Moi; tout se passe comme si l‘inconscient opprimait le Moi avec une puissance égale à celle avec laquelle la persona attire ce Moi, comme si la soumission aux sollicitations extérieures et aux séductions de la persona signifiait une faiblesse analogue face aux forces intérieures et aux pouvoirs de l‘inconscient. Tandis que l’individu assume, dans son rapport avec le monde, le rôle d'une personnalité forte et efficace, se développe au fond de lui une faiblesse efféminée en face de toutes les influences qui émanent de l‘inconscient : il est de plus en plus enclin à des caprices, des humeurs, des accès de frayeur.
Ainsi donc, la persona, l‘image idéale de l‘homme tel qu’il devrait et voudrait être, se trouve intérieurement de plus en plus compensée par une faiblesse toute féminine; et, dans la mesure où extérieurement il joue l’homme fort, intérieurement il se métamorphose en une manière d‘être féminoïde, que j’ai appelé Anima; car c‘est alors l‘anima qui s‘oppose à la persona. Or, pour la conscience extravertie, l'intériorité demeure obscure et invisible; en outre, l’individu peut d‘autant moins percevoir ses propres faiblesses qu‘il s‘identifie davantage à sa persona; dès lors, on comprend que l‘Anima, le pôle opposé à la Persona, persiste reléguée dans l‘obscurité la plus totale, dans une nuit impénétrable à la conscience.
C.G. Jung – Dialectique du Moi et de l’inconscient (Folio)