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Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
22 mars 2018

Marie-Louise Von Franz – Âme et Archétypes

 

alchimie2

 

J’ai déjà mentionné le fait que le Soi est symbolisé fréquemment par une pierre, précieuse ou non, ou par un cristal. Dans beaucoup de rêves, le noyau psychique, le Soi, apparaît sous la forme d’un cristal. L’arrangement mathématique précis des cristaux éveille en nous le sentiment intuitif que même dans la matière dite « inanimée » il y a un principe d’ordonnance spirituelle à l’œuvre. C’est pourquoi le cristal symbolise souvent l’union des contraires les plus opposés.

Peut-être la pierre convient-elle particulièrement à la symbolisation du Soi parce que sa nature exprime parfaitement un pur « c’est ainsi ». Beaucoup de gens ne peuvent s’empêcher de ramasser des pierres sans savoir pourquoi. Tout se passe comme si ces pierres recélaient un vivant mystère qui les fascine. Les hommes ont depuis toujours fait cela et apparemment supposé que certaines d’entre elles contiennent la force vitale avec tout son mystère. Les anciens Germains, par exemple, croyaient que l’esprit des morts continuait à vivre dans leur pierre tombale. La coutume de placer des pierres sur les tombes peut venir en partie de l’idée symbolique que quelque chose d’éternel demeure du mort, et que la pierre en est la meilleure représentation.

Bien que l’être humain soit aussi différent que possible d’une pierre, il est également vrai que son centre inconscient lui est étrangement apparenté par certains de ses aspects. La pierre symbolise une forme de conscience qui est simplement pure existence, éloignée des émotions, des sentiments, des pensées discursives, qui caractérisent la conscience du Moi. En ce sens, la pierre symbolise l’expérience de quelque chose d’éternel et d’immuable, l’expérience peut-être la plus simple et la plus profonde qu’un être puisse éprouver. Nous pouvons observer dans pratiquement toutes les civilisations un besoin d’élever des monuments de pierre à la mémoire des grands hommes ou sur les lieux d’événements importants. Il n’y a pas à s’étonner que tant de religions utilisent la pierre pour représenter Dieu, ou marquer le lieu de culte. Le sanctuaire le plus saint de l’Islam est la pierre noire de la Mecque, la Ka’aba, où tous les Musulmans pieux se rendent en pèlerinage au moins une fois dans leur vie.

Selon le symbolisme chrétien, le Christ est « la pierre que rejettent les bâtisseurs » qui devient « la pierre d’angle » (Luc 20,17). On l’appelle aussi « le rocher spirituel » d’où jaillit l’eau de la vie (I Corinthiens 10,4). Les alchimistes qui, au Moyen Âge, cherchaient avec une méthode préscientifique « le secret de la matière » en espérant ainsi trouver Dieu, ou du moins des actions de Dieu, croyaient que ce secret se trouvait dans leur célèbre « pierre des sages ». Mais ils eurent l’intuition confuse que cette pierre, objet de tant de recherches, était le symbole de quelque chose que l’on ne pouvait trouver que dans l’âme humaine. La pierre alchimique, le lapis, symbolise quelque chose en nous qui ne peut jamais être ni perdu, ni dissous, quelque sorte d’éternel que beaucoup ont comparé à l’expérience mystique que l’on peut avoir de Dieu, en son âme.

Il faut habituellement de longues souffrances afin de brûler tous les éléments psychiques superflus qui cachent la pierre. Mais il n’existe personne qui n’ait fait au moins une fois dans sa vie une expérience du Soi. Une attitude authentiquement religieuse consiste en un effort pour parvenir à cette expérience unique, et pour accorder progressivement sa vie avec elle de sorte que le Soi devienne un partenaire intérieur vers qui l’attention est constamment tournée.

Le fait que ce symbole du Soi, le plus élevé et le plus fréquent, appartienne à la matière inorganique ouvre un nouveau domaine à l’investigation. Je veux parler des relations encore inconnues entre la psyché inconsciente et la matière, et qui sont un mystère auquel la médecine psychosomatique notamment est en train de se confronter.

Il se pourrait que ce que nous appelons la psyché et la matière soit la même réalité inconnue observée respectivement de l’intérieur et de l’extérieur. Jung a forgé un nouveau concept qu’il appelle la synchronicité. Ce terme évoque « une coïncidence temporelle significative » entre un événement extérieur et un événement intérieur qui n’ont pas entre eux de relation causale. Et l’important ici est le mot « significative » car il existe naturellement de nombreuses coïncidences dénuées de sens. Si un avion s’écrase devant moi alors que je suis en train de me moucher, cette coïncidence n’a pas le moindre sens. Mais si j’ai acheté une robe bleue et que par erreur on me livre une robe noire le jour où un de mes proches parents vient de mourir, ce serait une coïncidence chargée de sens. Il n’y a pas de relation causale entre ces deux événements, mais ils sont reliés par le sens symbolique que notre société donne à la couleur noire. Le thème de la mort s’exprime simultanément dans les deux événements. Leur dénominateur commun est un symbole, un message de mort.

Partout où Jung a pu observer des coïncidences chargées de sens dans la vie des individus, il voyait aussi dans leurs rêves qu’exactement en même temps un archétype était activé dans leur inconscient. Aussitôt que nous remarquons que certains types d’événements « aiment » à se grouper à certains moments, nous commençons à comprendre l’attitude des anciens Chinois dont les théories en médecine, en philosophie, ou même en architecture et dans l’art de gouverner, sont fondées sur une « science » des coïncidences. Les textes chinois classiques ne se demandaient pas quels étaient la cause et l’effet d’un fait, mais quel fait « aime » à se produire avec tel autre. On trouve le même thème sous-jacent en astrologie, et dans la manière dont on consultait, dans les diverses civilisations, les oracles et les présages.

En créant le concept de synchronicité, Jung a esquissé une méthode qui permettra peut-être de pénétrer plus profondément dans les relations entre la psyché et la matière. Et c’est précisément une telle relation que paraît indiquer le symbole de la pierre. Mais c’est encore une question non tranchée et insuffisamment explorée qu’il incombera aux générations futures de psychologues et de physiciens de résoudre. Il semblera peut-être que cette discussion sur la synchronicité m’ait amenée à m’écarter de mon thème principal, mais il m’a paru nécessaire de l’introduire au moins par une brève allusion car c’est une hypothèse riche de possibilités d’investigation et d’application. Et par ailleurs, les phases cruciales du processus d’individuation sont invariablement accompagnées d’événements synchronistiques. Mais trop souvent ils passent inaperçus, car l’individu n’a pas appris à observer ces coïncidences et à leur donner un sens en relation avec ses rêves.

 

Marie-Louise Von Franz – Âme et Archétypes (La Fontaine de Pierre)

 

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  • Bienvenue ! Je partage ici les textes des auteurs phares de la psychologie des profondeurs qui éclairent et accompagnent mon exploration intérieure, ainsi quelques parcelles de mon expérience personnelle. Bonne lecture, Carine - Phalae
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