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Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
16 août 2019

Pierre Daco - Psychologie et liberté intérieure

 

Martin-Smolak7

 

Une quantité considérable de personnes souffrent aujourd’hui de comportements dits « dépressifs » ; la dépression les effleure sans se déclarer. Mais parfois, on plonge. La tension entre ce qu’on est profondément et ce qu’on est obligé de paraitre se réduit brutalement. L’organisme fait jouer les vannes de sécurité. Au lieu d’exploser, le condensateur surchargé s’effondre. On s’abîme alors dans la dépression comme certains s’abîment dans la passion de l’amour. N’y aurait-il pas là un rapport proche ?

Il y a également les « tendances suicidaires », du moins qu’on appelle ainsi. Mais voici que les amants passionnés manifestent, eux aussi, dans leur fusion, le désir de « mourir ensemble », afin de renaître dans un monde transfiguré. Et n’y aurait-il pas, là également, un rapport ? A leur parler, on ressent souvent qu’il y a en un déprimé un grand virage non encore négocié, ainsi que l’attente d’un basculement radical de valeurs, avec un appel fervent envers une autre forme de vie. En attendant, les déprimés sont de la nuit, et dans la nuit. Mais tous ceux qui désirent atteindre une manière nouvelle doivent passer par la nuit et par l’obscur. On appelle cela parfois : la traversée du désert, la nuit des sens. Et on pourrait également appeler la dépression : la nuit du Sens.

Au commencement de toute rénovation de l’esprit et de l’âme, se trouve la « mort », qui est le détachement et l’arrachement ultimes des anciennes visions, des anciennes valeurs, des anciennes façons de vivre. C’est l’arrachement de l’absurde et du non-sens, comme on arracherait une vieille peau. C’est la mue de l’âme. Mais tant que les lumières nouvelles n’ont pas jailli, cet abandon des choses anciennes est ressenti comme une nuit. Car l’être humain ne peut approcher son « noyau » profond qu’après avoir rejeté ce qui n’’est pas essentiel pour lui, et que ne correspond pas à son organisation et son ordre intérieurs.

L’alchimie passe, elle aussi, par la nuit. Après le mariage du souffre et du mercure, apparaît la couleur noire. C’est la phase de « putréfaction », mais aussi de promesse. Puis la pierre devient progressivement blanche ; c’est la résurrection. La matière noire renaît, perd de sa noirceur, jusqu’à atteindre le rouge de la rubification, que l’on peut symboliser par un jeune roi couronné. Ainsi, « l’or philosophal » se trouve enclos dans le noir de l’âme, et dans la promesse de la nuit du Sens…

On a tendance à cloisonner le déprimé dans l’ « anormal ». Mais est-ce aussi anormal qu’on voudrait le dire ? Et anormal par rapport à quoi ? Par rapport à la vie courante ? C’est-à-dire ? N’existe-t-il pas un « endroit » de cet « envers » qui est le sien ? Et cet envers sur lequel il marche ne marque-t-il pas une frontière entre ce qu’il parait être pour l’instant et l’appel qui se trouve en lui ? Posons même la question : paradoxalement, n’est-il pas plus profondément normal que la plupart des gens dits normaux ?

La dépression fait songer à ces états de personnes ayant frôlé la mort et qui en reviennent en décrivant des images de tunnel au bout duquel se trouvaient d’intenses lumières. Cependant, en cloisonnant les déprimés dans l’anormal, on les étiquette, on les bourre de médicaments. Mais on ignore qu’il y a en eux « autre chose », qui n’est deviné que d’eux seuls. Qu’il y a en eux un profond secret, et un mystère central. Alors, ne faut-il pas retourner, faire basculer, la notion de dépression ? Comme on doit le faire avec tant de choses ? Au lieu de se trouver « en-bas », ils sont probablement, au contraire, proches d’un « en-haut » qu’ils ne peuvent temporairement atteindre. En attendant, leur nuit est un retour au sein maternel…

Cette « anormalité » de la dépression ne serait-elle pas le chemin vers une supra-normalité ? Ne serait-il pas une démarche vers un « quelque chose » que la plupart ignorent ? Dit autrement : la dépression n’est-elle pas le canal, le tunnel vers une lumière, et vers une haute valeur ignorée ou refoulée chez la plupart ? En attendant, ils s’étonnent. Ils font même peur aux « biens portants » qui songent que cela pourrait leur arriver. Et même parfois, le déprimé fascine. Car on peut être fasciné par la dépression comme on peut l’être par la mort. Mais quelle mort ?

Je crois qu’il s’agit ici d’une fascination du néant, d’une fascination de cette nuit qui peut déboucher sur la transfiguration. Une sorte de fascination de cette « mort de l’âme », de ce « coma » affectif que l'on retrouve, ici encore, dans les grandes passions amoureuses, et dont la légende de Tristan et Iseult est l’exemple le plus sublime. On serait tenté de dire qu’ils sont privilégiés par cette « autre chose » qui se trouve en eux, même s’ils passent par un grand creux de vague. Ils sont en état de manque : manque de réalisation d’eux-mêmes, d’auto-création, manque d’amour, et manque d’eux-mêmes finalement. Ils représentent d’ailleurs ce que tout humain porte en lui : la fascination du néant, c’est-à-dire de la vie transfigurée qui se trouve au bout du tunnel. Car s’ils émergent de la dépression, il est impossible qu’ils le fassent sans avoir changé totalement. Et comme déjà dit, toute lumière exige le passage par l’obscur, l’abandon des vieux bagages et des vieux oripeaux, la mort des optiques anciennes.

Ils ont en eux ce que cherchent les familiers des nuits de l’âme, qui vont vers la lumière : les artistes, les poètes, les navigateurs solitaires des océans, et tous les navigateurs de l’âme. Car s’engager sur la mer exige l’abandon des apparences pour se confronter sans cesse à la nudité de sa propre authenticité. Le danger de la dépression est la stagnation dans cette régression vers le « sein maternel », dans la vie close et végétative, et dans l’homogénéité au sein de quoi ne se manifestent aucun goût pour quoi que ce soit, ni aucun intérêt, ni aucun projet… La lutte est souvent terriblement difficile. Mais l’impossible contient le possible, car l’impossible n’est que l’envers du possible. D’autant plus que les racines d’une dépression ne se trouvent jamais où on le croit…

 

Pierre Daco – Psychologie et liberté intérieure (Marabout éditions)

 

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Commentaires
N
Ce texte est d'actualité avec ce nous vivons aujourd'hui de la pandémie du confinement est égal à l'enfermement intérieur
Répondre
N
Aujourd'hui ce que nous vivons avec la pandémie c'est le confinement est égal à un enfermement
Répondre
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Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
  • Bienvenue ! Je partage ici les textes des auteurs phares de la psychologie des profondeurs qui éclairent et accompagnent mon exploration intérieure, ainsi quelques parcelles de mon expérience personnelle. Bonne lecture, Carine - Phalae
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