C.G. Jung - Dialectique du moi et de l'inconscient
Aussi longtemps que le Soi n’est pas incarné, c’est-à-dire aussi longtemps qu’il n’est pas relié à la conscience, son action, comme celle de tout contenu archétypique inconscient, est tour à tour salutaire et destructrice. Sa capacité individuante reste virtuelle. Il ne naît véritablement qu’en passant "de l’état potentiel à l’état actuel" par la venue à la conscience de ses contenus.
Nous créons en quelque sorte le Soi par la prise de conscience de contenus inconscients en même temps que nous avons "la révélation" d’un être qui préexistait au moi, qui était son créateur et son intégralité. Dans cette prise de conscience, le moi perd l’illusion de son autonomie, ce qui le délivre de l’enfermement dans une subjectivité surévaluée tout en l’établissant dans le sentiment juste de l’importance de son rôle. Le centre de la personnalité ne coïncidera plus avec le moi, mais sera figuré par un point à mi-chemin entre le conscient et l’inconscient. Ce point sera le centre de gravité du nouvel équilibre et correspondra à un recentrage de la personnalité globale, ce qui conférera à celle-ci "un fondement nouveau". C’est là, pour l’individu, la réalisation de lui-même en même temps que la réalisation de son Soi. La prise de conscience de l’archétype du Soi, se fait à travers l’émergence du symbole. Le symbole est le Soi en acte.
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D’une façon générale, le symbole peut être défini comme une conjonction d’opposés psychiques (par exemple du différencié et du primitif, du spirituel et du sensuel, du bien et du mal…), qui se produit lorsque le moi, en "violente désunion" avec lui-même, forcé de reconnaître sa participation inconditionnée à chacun des opposés, se trouve suspendu entre eux, dans un état de tension extrême et de paralysie vitale.
L’inactivité de la conscience entraîne alors un reflux de l’énergie qui réveille l’activité de l’inconscient où toutes les fonctions différenciées ont leur source archaïque commune, et cette activité de l’inconscient met à jour un contenu constellé autant par l’un des opposés que par l’autre, l’unilatéralité de chacun se trouvant compensée par la présence de l’autre dans ce nouveau contenu. Celui-ci, dans lequel les puissances opposées s’unissent dans une pente d’énergie, est le symbole, tierce réalité qui participe à la nature de l’une et de l’autre et qui est donc une forme "libre d’opposition".
Le symbole libère le moi de la dissociation et de la prison des contradictions insolubles en lui révélant dans la psyché un dynamisme créateur qui agit par l’union des contraires, ce qui pourrait être une définition de l’archétype du Soi. C’est par le symbole que s’établit la relation entre la conscience et l’archétype du Soi et il est même juste de dire que si cette relation ne constitue pas le Soi, elle seule permet au Soi de "s’actualiser", de se réaliser. L’expérience du symbole, ou du Soi, est fondatrice, unifiante et transformante : le moi ne se perçoit plus comme autonome et isolé ; il ne se perçoit pas non plus comme opposé ni soumis au Soi, mais comme "adjoint" au Soi et tournant en quelque sorte autour du Soi comme la Terre autour du Soleil.
C.G. Jung - Dialectique du moi et de l’inconscient (Folio)