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Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
22 août 2019

C.G. Jung – Correspondance 1906 -1940

 

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A Johanna Michaelis, Berlin-Charlottenburg

Le 20 janvier 1939

 

Madame,

Il n’est pas facile de répondre à vos questions. Vous avez tout à fait le droit de supposer comme vous le faites que la psychologie égyptienne est fondamentalement différente de la nôtre. A cette époque, la problématique était en effet tout autre. D’un côté régnait une vague inconscience impersonnelle et de l’autre, une conscience révélée ou une conscience d’inspiration personnelle, donc directement issue des dieux et personnifiée dans le pharaon. Celui-ci était le Soi et l’individu du peuple. L’esprit descendait encore des cieux. La tension était probablement extrêmement forte entre le haut et le bas. Par conséquent, les contraires ne pouvaient être maintenus ensemble que par des formes tout aussi fixes. Le « caractère double » du maître repose sur le fait primitif que le placenta est le frère du nouveau-né et l’accompagne souvent tel un fantôme tout au long de sa vie – car il meut rapidement et est solennellement enterré. Vous trouverez une présentation détaillée de cela dans le livre de Lévy-Bruhl : Le Surnaturel et la nature dans la mentalité primitive. Le Ka est selon toute vraisemblance un descendant du placenta.

La tension entre le haut et le bas de l’Egypte est aussi à mon avis la véritable origine des figures de délivrance que l’on trouve au Proche-Orient et dont le patriarche est Osiris. C’est également l’origine de l’idée d’une âme individuelle (immortelle). (« L’Osiris de tout un chacun »). Presque tous les usages en matière de renaissance visent à une union du haut et du bas. Le baptême du Jourdain est à cet égard un exemple éloquent : en bas l’eau, en haut le Saint-Esprit. Au stade primitif, le rite du renouveau totémique est toujours un retour à l’état originel mi-animal mi-humain. De là l’utilisation fréquente de peaux de bêtes et autres attributs animaux. Cela a déjà été prouvé par l’analyse des peintures rupestres découvertes dans le sud de la France.

Le rabaissement du haut vers le bas fait aussi partie de ces usages, comme par exemple le lavement des pieds dans le christianisme ou la sortie de la peau de bête lors de la naissance en Egypte (1).

En Inde, le maharadjah de Travankore doit encore aujourd’hui conduire le dieu au bain avec toute la cour deux fois par an, les pieds et le buste nus. Parallèlement à cela, on peut citer les coutumes du Mardi gras dans l’Eglise du Moyen-Âge, où le plus jeune des frères convers s’installait sur le siège de l’abbé et se faisait servir par les vieux moines. Des coutumes que l’on retrouve aujourd’hui dans nos universités ! Il faut aussi inclure dans cette liste la dérision rituelle à l’encontre des coutumes saintes, la messe des fous dans les monastères du Moyen-Âge, les « Delight Makers » chez les Indiens Pueblos.

Il est tout à fait vraisemblable que l’équilibre est maintenu dans la vie d’un peuple aussi longtemps qu’existent les rites, observés avec sérieux, qui unissent les pôles. C’est pourquoi le Tao en Chine repose sur une action conjointe et harmonieuse du ciel et de la terre. Mais comme vous pouvez le voir avec le I Ching, le ciel se sépare parfois de la terre, ce qui crée un état de désordre et de danger.

Aux questions que vous abordez, on peut donc trouver de très nombreux parallèles, et tout particulièrement pour ce qui est des usages baptismaux que je ne peux mentionner ici de façon exhaustive.

En ce qui concerne les quatre étendards royaux (2), je voudrais seulement préciser que, si je me rappelle bien, on portait aussi parmi ceux-ci un placenta. On peut le voir sur une monographie dont j’ai malheureusement oublié le titre.

Je vous prie d’agréer, Madame, l’expression de mes sentiments respectueux.

 

Votre dévoué,

C.G. Jung

 

(1) : A la fête de Sed, les rois égyptiens étaient enroulés dans une peau de bête ; cette peau représentait l’utérus duquel ils devaient sortir lors de leur renaissance.

(2) : Il existait certes bien plus de quatre étendards du pharaon, mais les plus importants étaient ceux du faucon, de l’ibis, du loup et du « placenta royal ».

 

C.G. Jung – Correspondance 1906 -1940 (Albin Michel)

 

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  • Bienvenue ! Je partage ici les textes des auteurs phares de la psychologie des profondeurs qui éclairent et accompagnent mon exploration intérieure, ainsi quelques parcelles de mon expérience personnelle. Bonne lecture, Carine - Phalae
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