Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
1 juin 2019

C.G. Jung – Correspondance 1958-1961

 

the church by M

 

Lettre de C.G. Jung à Günter Wittwer (1)

Le 10 octobre 1959

Cher Monsieur,

Votre question est légitime : qui se tient vraiment derrière les livres que j’ai écrits ?

Mais il est bien plus difficile d’y répondre que vous ne le pensez. Pour pouvoir vous répondre de façon satisfaisante, il me faudrait en effet bien me connaitre moi-même, dresser à votre intention le portrait correspondant, et pour finir vous prouver que tout ceci n’est pas que pur verbiage. Même si vous limitez votre question à ce qu’il en est de ma « religion » ou de ma « conception du monde », elle n’en concernerait pas moins ma personnalité tout entière, car je suis persuadé qu’une « conception du monde » ne peut prétendre à l’authenticité que si elle procède d’une confrontation de l’homme tout entier avec son monde. Dans la mesure où ce n’est pas le cas, elle n’est jamais que bavardage. Par ailleurs, du fait de l’étroitesse de ma conscience qui est incapable de reconnaitre une totalité dans toutes ses parties, tout ce que je peux déclarer ne sera jamais qu’un ensemble disparate. Nous ne sommes malheureusement jamais que les parties d’un tout, bien que nous puissions avoir le pressentiment d’une totalité.

Je ne puis me permettre de croire quoi que ce soit à propos de choses que je ne connais pas. Je tiendrais une telle présentation pour saugrenue et injustifiée. (…) Je ne confesse aucune « croyance ». Je sais qu’il est des expériences auxquelles on se doit d’accorder une attention « religieuse ». il existe beaucoup de sortes d’expériences de ce type. A première vue le seul caractère qui leur soit commun, c’est leur numinosité, c’est-à-dire leur émotionalité saisissante. Mais à y regarder de plus près on découvre aussi leur communauté de sens. Le terme de religio vient de religere, selon la conception de l’Antiquité, et non du religare de la patristique. Le premier signifie « considérer ou observer avec soin ». Cette étymologie donne à la religio son vrai fondement empirique, c’est-à-dire qu’il y va d’une conduite de la vie qui est religieuse, par différence avec une crédulité formelle et une simple imitation, lesquelles équivalent à une religion de seconde main ou à un ersatz de religion. Pour le « théologien », une telle conception est la plupart du temps inconfortable ; il la soupçonne de n’être qu’un simple psychologisme, mais il n’en manifeste pas moins là une bien piètre conception de l’âme, qui est le centre même de l’expérience religieuse. C’est la raison pour laquelle il est plus proche de la conception freudienne, qui lui permet de se débarrasser intellectuellement des expériences inconfortables, que de la mienne. Pour ma part je me sens, envers une telle expérience, des devoirs intellectuels aussi bien qu’éthiques. Comme je l’ai déjà dit, la nature de cette expérience est variée. Mes livres donnent à ce sujet une information détaillée. Vous pourrez voir à les lire que jamais je ne me livre à un jeu intellectuel, esthétique ou moralisateur avec la question religieuse.

Avec ma considération distinguée,

Votre dévoué,

 

C.G. Jung - Correspondance 1958-1961 (Albin Michel)

 

(1) : Après la lecture de quelques livres de Jung qui l’avaient impressionné, le destinataire de cette lettre, qui était un lycéen, lui avait demandé quelle personnalité et quelles convictions pouvaient bien se tenir derrière son œuvre.

 

Publicité
Publicité
Commentaires
Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
Publicité
Carnets d'une psychexploratrice autodidacte
  • Bienvenue ! Je partage ici les textes des auteurs phares de la psychologie des profondeurs qui éclairent et accompagnent mon exploration intérieure, ainsi quelques parcelles de mon expérience personnelle. Bonne lecture, Carine - Phalae
  • Accueil du blog
  • Créer un blog avec CanalBlog
Newsletter
Archives
Publicité