C.G. Jung – L'Âme et la vie
La conscience morale – et en particulier la mauvaise conscience – peut devenir un don du ciel, une véritable grâce si elle est utilisée en vue d’une autocritique approfondie. L’autocritique, en tant qu’activité d’introspection et de discrimination, est indispensable à toute tentative de comprendre sa propre psychologie. Si on a commis quelque chose qui semble incompréhensible et si on se demande ce qui a pu inciter à une telle action, il faut l’impulsion d’une mauvaise conscience et de sa faculté correspondante de discrimination pour pouvoir découvrir le véritable mobile de son comportement. C’est alors seulement que l’on est en mesure de voir quels motifs commandent ses actes. L’aiguillon de la mauvaise conscience incite même à découvrir des choses jusqu’alors inconscientes ; ainsi on peut franchir le seuil de l’inconscient et aborder ces forces impersonnelles qui font de l’individu particulier l’instrument inconscient du meurtrier invétéré et grégaire qui existe en tout homme.
On dit qu’il est égoïste et « malsain » de s’occuper de soi-même – Il n’est pas bon à l’homme d’être seul – « la solitude rend mélancolique ». Voilà bien la brillante opinion que nous avons de nous-mêmes. De tels jugements caractérisent tout à fait la mentalité occidentale. Celui qui pense de la sorte oublie probablement le plaisir que les autres trouveront en compagnie de ces lâches qui ne se supportent pas eux-mêmes.
Ruminer est une activité stérile qui s’épuise en elle-même, et qui jamais n’aboutit à une fin intelligente. Ce n’est pas un travail, c’est une faiblesse, et même un vice. On peut évidemment, quand on ne se sent pas d’aplomb, se prendre soi-même comme objet légitime d’une sérieuse réflexion, tout comme il est permis d’examiner sérieusement sa propre conscience, sans pour cela se laisser aller à une faiblesse morale. L’homme qui se sent dans une situation difficile, qui sent qu’il a besoin de s’améliorer, bref, qui veut « devenir », est bien obligé de se consulter lui-même. Sans changement intérieur de l’homme, les changements extérieurs de situation sont sans importance, à moins qu’ils ne soient nuisibles. Il n’est de progrès, il n’est de perfectionnement des conceptions humaines, qui ne soient solidaires d’un progrès de la conscience individuelle : l’homme s’est perçu en marge des choses et, par l’action, s’est imposé en face de la nature. La pensée psychologique, dans son orientation nouvelle, devra suivre hardiment la même voie.
C.G. Jung – L’Âme et la Vie (Le livre de poche)