Marie-Louise Von Franz – Les Mythes de Création

ll est des personnes qui se trouvent dans l’incapacité de rentrer en elles-mêmes. Elles peuvent avoir lu tous les livres de Jung, les connaître par cœur et disserter dessus doctement, elles demeurent cependant incapables, lorsqu’il s’agit d’elles-mêmes, de s’arrêter et de se demander : « Que se passe t-il réellement en moi ? » Elles ne savent pas accomplir ce simple acte de vérité qui consiste à regarder en soi-même et, pour une fois, à ne pas chercher les causes de leur conduite et de ce qui leur arrive à l’extérieur. Elles succombent à ce que les Chinois nomment « la folie de l’esprit » qui s’égare dans les idées et les pensées que l’on a sur soi-même, au lieu de se concentrer et de se demander : « Où suis-je ? Quelle est la situation ? Qu’en est-il de moi-même ? » sans se laisser distraire par les faits extérieurs ni entraîner par une pensée follement impulsive.

Au sens le plus littéral du terme, réfléchir signifie faire un retour sur soi-même, et ce n’est pas là quelque chose qu’il suffit de décider pour y parvenir ; nombre de gens qui le voudraient s’en découvrent incapables. En langage religieux, on dirait que devenir capable d’une vraie réflexion sur soi-même est un don de la grâce. Lorsqu’on a l’occasion de recevoir dans la pratique quelqu’un d’humeur querelleuse ou en proie au désespoir que lui cause sa situation amoureuse ou financière, on entend cette personne déverser un flot de paroles. Elle aura beau vous entretenir de psychologie et analyser ses rêves, elle vous donnera néanmoins le sentiment que c’est la « folie de l’esprit » qui s’est emparé du problème et en discute. Cette personne dira de temps à autre : « Ceci doit être une projection de ma part, je suis sûre que c’est mon ombre qui crée des difficultés, etc. »
Ce n’est pas là de la réflexion ! Lorsque vient la véritable réflexion, on s’en aperçoit dès l’instant où l’on regarde la personne dans les yeux, car son regard est calme. La personne devient tranquille et objective et désire vraiment regarder en elle-même et voir les choses en face. C’est là un instant numineux que personne ne peut provoquer. C’est une chose merveilleuse, quand elle se produit chez quelqu’un, que ce moment où la personne se tait, devient sincère et se penche réellement sur elle-même à la recherche de la vérité psychologique pour y découvrir les vraies difficultés.

Marie-Louise Von Franz – Les Mythes de Création (Editions La Fontaine de Pierre)