Elie G. Humbert – L’homme aux prises avec l’inconscient

Dans un premier temps, dont la durée est extrêmement variable, il semble que l’anima et l’animus restent indifférenciés et que leur rôle soit joué par le complexe-mère aussi bien chez la fille que chez le garçon. Dans cette période l’anima et l’animus sont projetés sur des femmes et des hommes, et le rapport qui s’établit avec ceux-ci est dominé par les divers aspects du complexe-mère. Dans un deuxième temps, à la durée tout aussi variable, l’anima et l’animus commencent à se figurer. Ceci indique le début d’une différenciation. Mais ils sont toujours sous l’emprise du complexe-mère et ils correspondent à de multiples figures typiques de la mère. Par exemple le clivage de l’anima dans des opposés comme la prostituée et l’institutrice, ou l’animus-héros, l’animus-vieil homme soit disant sage, qui sont également des composantes de la mère.

Pendant ces deux périodes, l’anima et l’animus sont dans une problématique de puissance :

- ils se présentent souvent dans des figures du couple dominateur/dominé, persécuteur/persécuté, possesseur/possédé,

- leur action tend à dominer, voire posséder le conscient,

- ils poussent le sujet à dominer le monde et les autres.

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Quand une analyse commence, l’anima et l’animus sont le plus souvent dans un état d’inconscience qui va de pair avec le fait qu’ils tendent à agir en possédant le conscient et parfois en se substituant au moi ou en en tenant lieu. On le remarque notamment quand un individu est fasciné par une femme ou par un goût, dominé par une passion, ou, plus modestement, par ses opinions et ses humeurs.

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Beaucoup de gens, même fort évolués, réagissent non pas à la réalité des situations, mais à la séduction, à la beauté, au goût d’un projet, d’une idée, d’une situation. On les voit s’enthousiasmer pour une doctrine qu’ils ne pratiquent pas ou, inversement, pratiquer avec ardeur une voie dont ils ne connaissent pas les fondements. A propos d’un discours ou d’une orientation de vie, il y a toujours à se demander s’ils sont le fait du moi, avec l’engagement que cela comporte, ou le fait de l’anima et de l’animus et donc émis ou entrepris dans un certain imaginaire.
La possession va toujours de pair avec une dissociation. Ensemble elles caractérisent l’inconscient. Ainsi l’homme possédé par une anima vit quelque part une division dans le féminin, soit qu’il refuse la femme même sous les apparences de la courtiser ou de se vouer à l’éternel féminin, soit qu’il refuse en lui-même ce qui serait du ressort de l’anima et, par conséquent, s’interdise de la reconnaître. Parallèlement pour la femme et son animus. Dans un tel rapport avec le conscient, l’anima et l’animus développent une négativité. Ainsi voit-on l’anima hystérique d’un homme sage et rangé l’entraîner d’une part dans un ésotérisme naïf, et d’autre part le livrer à des femmes gravement névrosées.
C’est la rencontre avec l’ombre qui oblige la femme à prendre des distances vis-à-vis de son animus et c’est la prise de conscience des vanités de la persona, des dessèchements qui lui en viennent, qui conduit l’homme à s’ouvrir à l’anima. On le voit, il n’y a pas de parallélisme entre les deux. La raison en est dans les standards régnants de notre société, ils sont encore essentiellement masculins. Si bien que c’est par sa masculinité que la femme y trouve sa place. Elle est donc identifiée à son animus dans l’affirmation d’elle-même. Quand elle joue les poupées hyper féminines, c’est encore un goût masculin. Réciproquement l’homme écarte son anima et s’il en est possédé inconsciemment, il ne s’en identifie pas moins à un personnage social de type masculin.

Elie G. Humbert – L’homme aux prises avec l’inconscient (Albin Michel)